Entretien avec Paul Piquet pour « Regard sur l'image »
«Avec une belle inconscience j'avais planté le trépied et l'appareil en bois devant les joueurs de bonneteau du marché aux puces.»
Pouvez vous me parler de votre tout premier reportage photo ?
Avec une belle inconscience j'avais planté le trépied et l'appareil en bois devant les joueurs de bonneteau du marché aux puces.
Au moment où j'allais presser sur la poire un homme très brun est venu vers moi. Il a pesé la situation : mon pauvre petit bonhomme tu vas te faire assommer !
Comment vous est venue cette passion de la photo ?
Par réaction contre le dressage infligé à l'école Estienne- la copie des bustes antiques et des rinceaux renaissance me donnait l'envie irrésistible de fuir vers cette liberté extérieure, d'en garder les images éphémères.
La photographie avec sa vivacité précise était le procédé qui s'adaptait le mieux à cet enregistrement.
Que pensez-vous de la photographie actuelle et des jeunes photographes ?
Impossible de répondre à cette question : photographie et photographes sont sollicités par de multiples tendances- peut-être retrouve-t-on un peu partout une recherche d'effets stridents conséquence d'une pollution publicitaire.
Quelle évolution y a-t-il, à votre avis, de la part du public à l'égard de la photo ?
D'une part une très grande connaissance du matériel proposé par les catalogues, d'autre part un certain agacement devant l'agressivité des photographes qui s'identifient au héros de blow-up.
Certaines personnes prétendent qu'il faut « éduquer » le public ? Etes-vous de cet avis ?
Ces certaines personnes paraissent avoir une assez bonne opinion d'elles-même.
Pour vous la photo est-elle un art ?
L'observation visuelle qui remet en question l'ordre des valeurs amène à considérer avec indifférence les vieilles étiquettes. Aussi je ne me suis jamais posé cette question.
Voyez-vous un rapprochement quelconque entre le peintre et le photographe qui, tous deux, veulent fixer un moment dans le temps ?
Fixer un moment ... vous êtes pour les raccourcis schématiques..
Dans les rapports réciproques je vois un échange de bons procédés.
Les photographes avec la gomme bichromatée, le bromoïl, sont venus se blottir tout près des peintres. Aujourd'hui les peintres hyperréalistes tentent de s'approcher de la précision photographique. Quinze partout.
Votre rencontre avec Jacques Prévert ?
Un matin, dans l'atelier d'André Vigneau, déboule un groupe de jeunes gens tourbillonnants et tout marrants. Les deux à gauche, ce sont les frères Prévert. Moi, le grouillot, j'étais pétrifié d'admiration.
A-t-il une une influence sur votre œuvre ? Laquelle ?
Sa vision généreuse qui lui faisait habiller en Dimanche les gens de tous les jours m'a donné l'envie de dénicher à mon tour les trésors méprisés parce que trop évidents.
Quelle différence faites-vous entre le rêve et l'évasion ?
Quand les deux mots sont réunis ils entraînent automatiquement dans leur sillage le mot : fantasme- et l'invitation d'être tourmenté, avachi, étendu par terre- je flaire le piège, c'est de la fausse monnaie. On voit beaucoup mieux debout.
Comment percevez-vous ce tournant de la presse auquel nous assistons depuis quelques années ?
Dans l'histoire de la presse illustrée par l'image photographique il y a eu des moments toniques - la création de « vu » par Lucien Vogel - l'apparition de Life. A l'heure présente les magazine pour salles d'attente ne représentent pas un tournant de l'utilisation de l'image, tout au plus un dérapage.
L'impression le cadrage, la mise en page sont souvent mauvais et très décevants pour le photographe. Comment ressentez-vous le non-respect de l'image ?
L'image traitée sans ménagements montre que les grossiers individus pratiquant cette familiarité de mauvais aloi ignorent tout de la puissance cachée des photographies.
Quel est, à votre avis, le rôle du photographe dans le monde moderne ?
Un photographe peut être :
- un consommateur
- un type qui gâche les vacances de toute sa famille
- un sous-doué qui a raté son bac
- un joueur de flûte fauteur de désordre
- un tricheur rusé dans une société carcérale
- un héros qui échange sa jeunesse contre une image
- ou quelqu'un qui, par une matinée ensoleillée, répond à un questionnaire et que cela ennuie prodigieusement.