Robert Doisneau
Jean-Claude Carrière pour « Jours de France » le 6 Décembre 1986.
Il dit sans arrêt : « Moi, la photographie, j'y connais rien du tout . »
Au début, on est un peu surpris, on croit qu'il plaisante, qu'il fait semblant de chercher, de se cogner aux meubles, de se tromper.
Il dit par exemple : « Ah ! non, ça, ça ne valait rien, et de toute façon, c'était flou. »
Il regarde avec inquiétude son appareil récalcitrant et il grogne : « Mais, qu'est-ce qui se passe, là ? » Ou bien il dit très convaincu : « Ah ! celle-là, je l'ai ratée ! ». Petit à petit on se prend au jeu, on a envie de l'aider, on fait tout ce qu'on peut pour ça. On est même prêt à lui donner des conseils.
Et puis tout à coup, quand on commence à désespérer, quelque chose de clair s'allume dans son œil, il dit « Ah ! tiens, ça c'est pas mal. » Alors on se sent tout heureux pour lui, car il semble avoir surmonté ses difficultés.
Il insiste encore un peu « juste pour voir ». On a l'impression qu'au prix d'un coup de chance inouï il a peut être réussi une photographie, finalement. Et c'est vrai. Une fois de plus, c'est vrai.
L'art de Doisneau c'est avant tout de faire oublier qui il est. Et de nous obliger à le redécouvrir chaque fois, lui, Robert Doisneau, ce très grand artiste inconnu.
Jean-Claude Carrière